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[QUESTION EDUCATION] Force et Tempérance
Article 8 de la loi scoute : Le scout est maître de soi : il sourit et chante dans les difficultés
Nos vies sont immanquablement marquées par des épreuves et des combats, des échecs et des chutes. L’homme valeureux traverse ces temps douloureux et ces souffrances avec une grandeur d’âme qui lui permet de conserver sa joie car il puise dans une espérance qui n’a pas de commune mesure avec les vicissitudes de sa vie ici-bas. Mais il serait bien présomptueux de considérer que cela est aisé et spontané. Un homme valeureux, ça se prépare !
Face à un mal, à des situations critiques et éprouvantes, nos passions peuvent se déchainer et nous plonger dans la peur, la tristesse, la colère, le désespoir, le dégout, l’aversion ou encore la haine. Il est alors difficile de remonter le courant de l’énergie irrationnelle de nos passions. Celui qui se laisse aller au gré de ses inclinations perd sa liberté en devenant esclave. Les actes qu’il pose sous l’empire des passions sont toujours déraisonnables et souvent outranciers. C’est un objectif majeur de l’éducation que d’apprendre aux enfants à demeurer maître d’eux-mêmes en dirigeant l’attelage de leurs passions.
Être « maitre de soi », cela signifie qu’on ne se laisse pas envahir par la douleur ou la haine, et que notre intelligence est capable de raisonner notre vie intérieure face au mal auquel on est confronté. Quand l’inclination de nos passions devient obsessionnelle, c’est que nous n’arrivons plus à en diriger le cours, nous sommes en état de siège. Sortir de l’ornière de nos passions est un combat, cela nécessite de s’opposer à la tentation de la capitulation. Cela peut être bien ardu pour celui qui ne s’est jamais entraîné à être fort.
Saint Thomas d’Aquin distingue deux façons d’exercer cette force : Sustinere qui signifie soutenir ou tenir et agredire qui signifie attaquer ou affronter. Autant la première expression de la force peut nous conduire à une forme de défense passive, au calme du silence maintenu par un discours intérieur ; autant la seconde nous mène au combat par un acte extérieur énergique qui peut aller jusqu’à détruire la cause du mal. Être maitre de soi ne va pas toujours se manifester de la même manière en fonction des situations, des tempéraments, mais aussi de la possibilité raisonnable d’agir.
"Les petites et les grandes peines que nous endurons sont des occasions privilégiées pour renforcer notre volonté, pour exercer notre raison à diriger notre vie en toute circonstance, pour apprendre à fortifier nos vertus."
Les petites et les grandes peines que nous endurons sont des occasions privilégiées pour renforcer notre volonté, pour exercer notre raison à diriger notre vie en toute circonstance, pour apprendre à fortifier nos vertus. C’est l’acceptation des petites frustrations subies ou choisies de la vie quotidienne qui nous prépare à poser des actes plus héroïques sans nous laisser assombrir par l’absence de confort ou par les combats à mener. Pour apprendre à « Faire face », selon la devise de Guynemer et de l’armée de l’air, il faut s’entrainer en forgeant les vertus et le caractère qui nous permettront d’être prêts. « Semper parati » ! Comment être toujours prêts si nous ne sommes pas maîtres de nous-mêmes ?
« Semper parati » ! Comment être toujours prêts si nous ne sommes pas maîtres de nous-mêmes ?
L’éducation nous prépare à faire face, c’est-à-dire à nous opposer, à nous battre, à développer le courage de défendre la vérité, le bien, la vie, notre patrie ou notre famille. Sur le plan anthropologique nous parlons ici du lien essentiel entre l’intelligence et la volonté. Nous apprenons à un enfant à devenir maitre de lui-même en nourrissant son intelligence et sa volonté des raisons de mener le bon combat, à commencer par le combat contre ses propres passions. Une rationalité bien formée développe la motivation, et quand elle est entrainée elle devient une détermination à agir de manière droite. Un enfant qui a appris à défricher et à emprunter régulièrement ce chemin y découvrira une joie semblable à celle du montagnard qui parvient au sommet après avoir connu les affres de l’ascension douloureuse.
La joie ! C’est là un enjeu essentiel de l’éducation que d’apprendre à nos petits, puis aux enfants un peu plus grands, et jusqu’à leur majorité, à découvrir la joie qui se révèle après l’effort, à se délecter du but et pas forcément du chemin, à supporter la rudesse des étapes qui mènent à la réussite. Un enfant qui n’a pas été entraîné à mener ces tous petits combats, depuis la frustration du biberon qui n’arrive pas tout de suite jusqu’au smartphone qui arrive plus tardivement que pour ses camarades, ne sera jamais un « Henri » capable de repousser un terroriste avec une ferme détermination et sans témérité. Oui, cet Henri est un exemple intéressant. Il fut scout, élevé dans une famille nombreuse, philosophe de formation, il a été entrainé à poser des actes libres et forts. Et quand il témoigna de son geste héroïque, il fit simplement référence à la chevalerie qui cuirasse ses vertus et lui donne la capacité à être magnanime en toute circonstance. Loin de s’afficher en héros, il raconte avec simplicité et humilité que tous les Français devraient être capables de poser un tel geste.
Il nous faut approfondir la joie vécue comme un fruit cueilli sur l’arbre de nos actes courageux et pour cela enrichir notre réflexion de la distinction qu’opère saint Thomas d’Aquin entre le plaisir et la joie : « le mot de joie ne s'emploie que pour les plaisirs consécutifs à la raison ; aussi n'attribuons-nous pas aux bêtes la joie, mais seulement le plaisir. Tout ce que nous désirons d'un désir naturel, nous pouvons le convoiter et nous en réjouir rationnellement aussi ; tandis que l'inverse n'est pas vrai. De sorte que tout objet de plaisir peut être objet de joie pour les êtres doués de raison. Pourtant on ne se réjouit pas de tout ; parfois on éprouve dans son corps certains plaisirs dont on ne se réjouit pas selon la raison (…) On voit par-là que le plaisir a plus d'ampleur que la joie dans notre corps mais que la joie est plus parfaite selon notre nature rationnelle. »[1]
Nous découvrons alors un tout autre « terrain de jeu »… Il ne s’agit plus d’un rapport de plaisir et déplaisir, mais bien plus d’un chemin de dépassement qui nous conduit sur les hauts plateaux de la vie humaine. Certes, quand on se met à côtoyer les sommets il y a un peu moins de monde, on peut se sentir un peu seul à vivre dans cette joie. Mais c’est là un devoir du chrétien que de témoigner de la joie et de l’Espérance qui relativise tous les plaisirs, toutes les peines, toutes les souffrances que nous traversons sur cette terre. « Si tu contristes ton frère, tu n’es pas dans la charité, mais cela signifie qu’il apporte la consolation. C’est, en effet, le rôle du sage qui goûte une joie trop haute pour que le vulgaire la soupçonne seulement, qui n’est pas à la portée de beaucoup ; c’est son rôle d’apporter du plaisir à ses compagnons, du plaisir, dis-je, non pas impertinent, que la vertu réprouve, mais de l’agrément selon l’honneur. »[2]
Nous comprenons alors que l’appel à « sourire et à chanter dans les difficultés » n’est pas une attitude masochiste ou un déni issu de la méthode Coué. Les épreuves sont toujours une occasion de déplaisir, c’est le sens même de la souffrance. Mais si notre esprit domine nos passions nous découvrons une autre dimension de notre être, une dimension spirituelle qui ne se laisse pas immergée par les inclinations de notre sensibilité, une dimension plus noble et plus haute qui nous ouvre le chemin de la joie en nous donnant des raisons supérieures d’être heureux et de vivre joyeusement le moment présent et d’offrir cette joie à tous ceux que nous rencontrons.
Il y a quelques années j’ai découvert la vie extraordinaire du Cardinal François-Xavier Van Thuan. Il a été enfermé dans les geôles communistes du Vietnam durant 13 ans. Cet homme qui désirait par-dessus tout servir son peuple et apporter le message du Christ au Vietnam, était désespéré d’être réduit au silence et privé de sa liberté de mouvement. Malgré cela, il décida un jour de ne pas subir, de faire face, d’être prêt à témoigner de l’Amour du Christ là où il était : « Je ne vais pas attendre. Je vis le moment présent en le comblant d’amour. »[3] Faire de chaque instant un acte d’amour éclairé par l’Espérance du Salut. Voilà le secret de la joie que personne ne pourra nous retirer. A la mort du Cardinal Van Thuan plusieurs de ses geôliers étaient présents Place saint Pierre pour honorer la mémoire de celui qui avait transformé leur vie par une considération toute évangélique.
Alors « Soyez toujours joyeux et priez sans cesse » comme nous y invite saint Paul[4].
[1] Saint Thomas d’Aquin – Somme théologique Ia IIae Q. 31 a.3
[2] Commentaire de la loi scoute d’après saint Thomas d’Aquin, Père Louis Héret, éditions SPES, 1924
[3] Anne Bernet, Monseigneur Thuan, un évêque face au communisme & Monseigneur Thuan Témoin de l’Espérance
[4] Saint Paul - 1ère Épître aux Thessaloniciens Ch. 5, v 16
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