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[QUESTION EDUCATION] L'éducation à la loyauté

18 octobre 2021 Education

Dans le langage courant le mot loyauté évoque souvent la qualité de celui qui dit la vérité. Certes cela est une application de la vertu de loyauté, mais la loyauté va plus loin, elle consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû par la nature de sa fonction vis-à-vis de nous, c’est une vertu secondaire de la justice. Plus précisément, c’est tenir son engagement vis-à-vis de ceux envers lesquels nous avons des devoirs.

Nous avons des obligations diverses envers les hommes ; elles peuvent être déterminées par leur valeur personnelle, ou par les bienfaits que nous avons reçus d’eux dans un cadre naturel (famille par exemple) ou institué (professionnel). « Ceux qui ont à obéir doivent avoir en eux une certaine rectitude, une certaine discipline grâce à quoi ils se dirigent eux-mêmes en obéissant à leurs chefs. [1]».  C’est ce que l’on appelle la loyauté.

La loi scoute nous enjoint d’être loyal à l’égard de notre pays, de nos parents, de nos chefs et de nos subordonnés. A l’égard de Dieu, envers qui nous avons une dette inextinguible, cette loyauté est assez simple à comprendre pour un chrétien. Mais, en énumérant l’ensemble des personnes à qui nous devons notre loyauté, la loi scoute pousse notre conscience dans ses retranchements sur la question du bien commun en application de la vertu de justice.

Dans l’éducation d’un enfant, l’apprentissage des enjeux du bien commun commence à la maison et se poursuit aisément dans le scoutisme. Un enfant grandit dans le respect du bien commun de sa famille par la croissance de sa piété filiale à l’égard de ses parents, c’est-à-dire par un amour inconditionnel, car cela rend son cœur attentif et obéissant à leur autorité.

Dans la société naturelle qu’est la famille, l’enfant qui n’aura pas au cœur cette piété filiale, faite d’amour et de respect, aura bien du mal, devant certains ordres et certains actes de ses parents, à rester loyal. C’est un problème d’actualité. Il est tellement important de sanctuariser l’autorité des parents et de la consolider en apprenant aux enfants qu’ils ont un triple devoir vis-à-vis de leurs parents : premièrement un devoir de révérence, de respect malgré tout et quoi qu’il arrive, parce que, ne fussent-ils pas vertueux, nos pères et nos mères nous ont donné l’être : dans ce rôle ils ont été l’instrument de Dieu, donc excellents à notre égard et qu’à l’excellence nous devons rendre l’honneur. Deuxièmement un devoir de reconnaissance, d’union toujours affectueuse parce qu’en nous donnant l’être ils nous ont fait un présent incomparable. Et enfin un devoir d’obéissance parce qu’ils sont les gouverneurs naturels de l’unification de notre personne jusqu’à notre engagement libre dans notre vocation[2].

La perte de respect des parents dans notre société est une cause profonde des désordres sociaux que nous connaissons aujourd’hui. Il est scandaleux d’entendre un homme politique affirmer qu’il convient d’arracher les enfants aux déterminismes sociaux de leurs parents. L’État devrait tout faire pour consolider l’autorité parentale comme on consolide un droit qui est aussi un devoir. 

Mais la loyauté à l’égard du bien commun revêt, au sens strict du mot, une dimension politique. Être loyal à l’égard de son pays est une disposition à servir le bien de notre patrie, et ce bien a une prééminence sur tous les autres. Cet engagement est tellement fondamental que nous en retrouvons l’expression dans le texte de la promesse (« …je m’engage à servir… ma patrie… »). Et, de grâce, n’abandonnons pas ce terme de patrie à la caricature, gardons-lui toute son épaisseur naturelle et culturelle.

C’est par l’amour des « pères » que nous aimons la « terre des pères » qu’est la patrie. Aimer son pays a quelque-chose de charnel dans la mesure où nous n’aimons pas un concept ou une idée mais une réalité et un héritage vivant, c’est un enracinement dans l’espace et dans le temps, une géographie et une histoire, des paysages et des personnages historiques, des frontières et des batailles, une langue et des arts, une architecture et des territoires, etc.

« La Patrie est le milieu où notre vie éclot et grandit. Nos parents en dépendaient, nous en dépendons par eux ; elle nous domine plus que nous le pensons. Nous tenons d’elle notre manière spéciale de penser, de sentir, de parler. Elle nous a donc faits, elle aussi, et elle demande notre culte pieux, ayant tous les droits d’une mère[3]. »

           >> Lire aussi : Etre prêt, oui mais à quoi ?

En lisant ces lignes je me demande s’il est encore possible de s’exprimer ainsi à notre époque sur l’amour de la patrie considérée comme une mère à qui nous devons amour et obéissance.

De manière générale, on sait qu’il est bon d’apprendre à nos enfants à obéir à leurs parents, à leurs chefs, à leurs professeurs et à tous ceux qui ont une supériorité légitime à leur égard en leur enseignant le respect de l’autorité. Cependant, comment ne pas s’interroger, voire relativiser ce principe de l’obéissance à l’autorité dans une société qui a désarticulé la loi et la morale naturelle ? Comme peut-on enseigner à nos enfants de respecter toutes les formes d’autorité alors que nous constatons trop souvent l’empilement du mille-feuilles des contraintes règlementaires qui frisent la tyrannie ? Doit-on apprendre à nos enfants à obéir à une époque où de nombreuses autorités sont dévoyées ? Peut-on leur apprendre le respect inconditionnel de l’autorité du professeur alors que les programmes de l’État font l’apologie de la déconstruction de la personne humaine, de la famille et de l’histoire de notre pays ?

Déjà en 1924, le Père Héret disait : « On peut sans doute juger que celui qui gouverne se trompe, mais un Scout loyal s’arrangera pour que ses critiques n’aillent pas jusqu’à ébranler l’autorité même, fondement de la société[4]» Cette limitation de l’action critique est-elle encore compatible avec le militantisme au service de la vérité, du bien et de la vie ? Pour le dire autrement, quand on manifeste contre un projet de loi qui remet en cause le respect de la vie à son origine et à sa fin naturelle, peut-on encore demander à nos enfants d’être loyal à l’égard de leur patrie ?

Pour répondre à cette difficulté, il convient de distinguer le légalisme et la loyauté. On se doit de respecter la loi mais nous ne sommes pas obligés de l’accepter voire de la considérer comme juste. « Dura lex, sed lex ». On respecte la limitation de vitesse à 80 km/h même si on peut considèrer cette règlementation inadaptée, et on peut dans le même temps manifester notre désapprobation. Mais le code de la route demeure au for externe et cela n’a pas d’incidence par rapport à la loi naturelle. En revanche, quand la loi décide qu’il est possible d'attaquer la famille et la défense de la vie de son commencement à sa fin, elle touche à l’ordre naturel et au respect de la dignité humaine. En l’espèce, il est difficile d’accepter la loi quand elle consacre un désordre, il devient même impératif d’éclairer la conscience de nos enfants sur ce désordre. C’est alors au nom de l’amour de la patrie, qu’il convient de les aider à distinguer entre le légalisme matériellement impossible et la loyauté qui doit les pousser à résister aux évolutions législatives qui détruisent la vie morale de leur pays.

L’éducation à la loyauté rejoint la formation de la conscience morale d’un enfant. Elle peut conduire, comme nous le voyons aujourd’hui, à devenir dissident dans son propre pays. La loyauté conduit à rechercher le bien objectif de son pays en s’engageant pour construire ce que saint Jean-Paul II appelait la « civilisation de l’amour » en refusant de se compromettre avec la « culture de mort ».

 

[1] Commentaire de la loi scoute d’après saint Thomas d’Aquin, Père Louis Héret, éditions SPES, 1924

[2] idem

[3] idem

[4] idem

 

Fondateur de Saint-Joseph Education (https://www.saintjoseph-education.fr)
Auteur de "La Voie de l'éducation intégrale"
 



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1 Commentaire

Rodolphe DUMOUCH (TPE 5e RENNES)
Il y a 2 ans
Je ne partage absolument pas cette acception de la loyauté.
"Combattre à la loyale", c'est d'abord le faire franchement, sans coups fourrés et sans profiter des faiblesses de l'adversaire.
Ici, tout est dévié en soumission et obéissance.
Être loyal à ses parents, c'est, par exemple, ne pas les abandonner lorsqu'ils deviennent dépendants. En revanche, contester l'autorité à l'âge où se forme l'autonomie est sain. J'ajoute que l'État peut l'encourager : c'est le cas en Allemagne, avec une série de droits et capacités juridiques qui apparaissent dès 14 ans, notamment en matière scolaire et religieuse, y compris avec la possibilité de s'opposer à eux ; en France, le juriste Jean Carbonnier voulait adapter des lois similaires. C'est pour cela qu'il n'y a pas de surveillants dans les lycées allemands, où les 14+ sont traités comme des étudiants adultes. J'ai toujours milité pour cela et, dans ma fonction enseignante, l'ai toujours dit franchement aux parents !
De même, la loyauté à son pays ne signifie pas obéir au gouvernement ni suivre ses lubies. Ainsi, contrairement à ce que disent les bien-pensants quand je milite pour un rapprochement avec la Russie, il n'est pas déloyal de défendre cette position et ce n'est pas "trahir" !

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