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Qu'est-ce que le scoutisme a de si influent dans la capacité à être un futur bon manager ? Témoignage

05 janvier 2022 Vie professionnelle

« J’ai été scoute », c’est ce que j’ai dit durant mes entretiens de concours d’entrée aux écoles de commerce en été 2015. Il faisait très chaud dans la salle, j’avais enlevé mon blazer gris avec l’approbation du jury en face de moi (merci de leur compréhension) ; je m’étais assise en face d’eux sur une table bancale avec ma feuille de préparation froissée par mon stress et mes mains moites. J’avais préparé mon discours de présentation depuis quelques jours, je savais exactement quel Master Spécialisé je voulais faire dans chaque école, son classement et son contenu. Je savais quoi dire, quoi faire. Pas de place à la spontanéité, ce qui ne m’étonne pas en tant que Travaillomane (1) en phase vécue.

« J’ai été scoute » était mon principal argument pour prouver que je pouvais être plus tard, à l’issue de ma formation, un bon manager. Etre scoute était LE centre d’intérêt que j’avais choisi de mettre en avant pour montrer que je savais diriger des équipes, déléguer du travail et m’organiser pour un projet (en l’occurrence, le camp d’été).

Pourtant j’aurais pu dire que j’avais fait partie d’une troupe de théâtre musical pour traiter la section « Gestion de projet »; j’aurais pu parler de mon TPE sur le culte de la minceur en Première pour montrer que je savais « Diriger une équipe », j’aurais pu enfin insister sur mes années prépa pour prouver mes compétences en termes d’« organisation du travail ». La question qui me turlupine depuis quelques temps : pourquoi ne l’ai-je pas fait ? Etait-ce un réflexe de ma part que de choisir un argument « une pierre, trois coups », ou par habitude d’avoir entendu lors de mes khôlles de culture générale « Dis que tu as été scoute, ça va tout changer lors de ton entretien » ? Je me souviens d’avoir entendu mon père, qui me faisait faire des heures supplémentaires pour me préparer au mieux, me dire :« Il faut que tu parles de tes années de scoutisme ».

 Je me souviens d’avoir entendu mon père, qui me faisait faire des heures supplémentaires pour me préparer au mieux, me dire :« Il faut que tu parles de tes années de scoutisme ».

La veille de mon entretien à Grenoble Ecole de Management, école qui m’a choisie pour qui je suis, j’étais parvenue à deux conclusions : d’une part, je devais revêtir figurativement à nouveau mon uniforme pour pouvoir ENFIN parler de mes valeurs, moi qui devais mettre ma médaille et ma croix sous mon chemisier par laïcité (cache-moi ça !) ; d’autre part, dès que j’allais parler de mes huit années d’expérience dans le scoutisme, j’aurais tout gagné.

Est-ce vraiment ce qui a été dans la tête des membres du jury en face de moi ? Leur décision a-t-elle été orientée par ce fait ? Me demandant combien de personnes avaient été reçues d’office après avoir épuisé cet argument jusqu’à la corde, je me suis décidée à poser ce problème : qu’est-ce que le scoutisme a de si influent dans la capacité à être un futur bon manager ?

La première pensée qui m’est venue à l’esprit est que ce qui faisait de moi un bon leader, c’était mon staff(2) super cool au bras et mon insigne « Première Classe » sur la manche gauche de mon pull qui gratte. Mais après mûre réflexion, je me suis résignée à frimer sur ma fierté d’être cheftaine d’équipe, quoiqu’elle mettait bien en valeur mon côté ambitieux. Pour plusieurs raisons.

D’abord parce que la première chose que j’ai apprise aux scouts était la hiérarchie inversée : en effet, plus on « monte en grade » (le scoutisme étant issu du milieu militaire britannique), plus on doit être au service des autres. Imaginez un seul instant le directeur marketing de votre boîte distribuer le café aux stagiaires. Impensable ? Pourtant le chef scout montre l’exemple, and so does a manager. Au-delà de la possibilité de former les stagiaires de manière pragmatique à faire « le sale boulot », on observe déjà la transmission du savoir et du savoir-faire par la pratique qui constitue l’apanage du leader. Alors, même si on s’est bien amusé en tant que chef d’équipe à demander aux petits nouveaux d’aller chercher des « piles pour la boussole, « un bidon de 100 litres » ou « une clé des champs », nous avons passé des heures à allumer un feu sous la pluie pour réchauffer nos recrues, à tenir la boussole dans les chemins sinueux pour retrouver son chemin sur un GR en exploration et à chanter des cantiques et à garder le sourire lorsqu’il n’y a qu’une courgette à manger pour une équipe de sept personnes. Un bon manager est avant tout un mentor. Premier point.

La première chose que j’ai apprise aux scouts était la hiérarchie inversée : plus on « monte en grade », plus on doit être au service des autres.

Deuxième paradoxe que j’ai relevé en tant que chef d’équipe. Plus on « monte en grade », moins on a de responsabilités. Plus on est responsable d’une équipe, moins on est responsable dans l’équipe. « Plus il y a de gruyère, moins il y a de gruyère ». Mais quelle est la mission du chef d’équipe, si ce n’est pas la gestion de l’intendance, l’écriture du scénario de la veillée ou la gestion de la malle d’équipe ? Parfois il est « respo teambuilding », organisant des soirées de folie sous la tente de 5 m² (ambiance !). En CEP1 (3) j’ai régulièrement entendu que le chef d’équipe était là pour conseiller les autres membres de l’équipe dans l’exécution des tâches. En somme, c’est lui qui explique comment tenir la hache pour couper le bois pour une tente surélevée (et non par la lame !), plus sérieusement c’est lui qui forme l’infirmier d’équipe aux gestes de premiers secours et lui qui explique au responsable correspondant comment gérer l’intendance d’équipe (non, amener des bonbons sur le camp d’été n’est pas autorisé !). Un bon manager est un consultant. Deuxième point.

Troisième et dernier point, le debriefing ou l’art de dresser entre chefs le record de blessures dans les troupes ou le taux d’occupation de fourmis dans le coin d’équipe. Des « Cour d’Honneur » sont dressées en principe chaque jour pour faire le point sur les objectifs de chaque membre d’équipe, les résultats, le ressenti de chacun, les points positifs et ceux à améliorer, et le prochain travail à faire. Déjà à 17 ans, on se pose en cercle, assis en tailleur sur l’herbe appuyé sur notre fameux staff (ce qui n’est pas vraiment autorisé en open-space, par ergonomie), pour établir des rétrospectives sur des concours cuisine, des olympiades et avant tout, sur le quotidien. Un groupe scout, c’est finalement la seule entreprise qui établit des debriefings au nom du bien-être dans l’équipe au service d’un projet… à but non lucratif. Qui ne rapporte rien financièrement. A quoi bon alors ? Le scoutisme est-il la seule Firme Multinationale (à en juger par les effectifs) où l’accomplissement de soi est la seule et unique finalité ? Serait-ce le seul Groupe international dont sa raison d’être n’est pas un produit ni un service, mais des valeurs humaines qui nous rassemblent ?

« J’ai été scoute » n’a donc plus rien à voir avec l’uniforme désagréable et le foulard rouge et vert fluo que l’on est obligé de porter, « j’ai été scoute » revient donc à dire « je me suis engagée depuis mes 8 ans à servir et à m’impliquer dans un projet de vie qui me représentera vraiment et qui me mènera vers le haut sans écraser les autres ». Je serai en tant que femme, un Promoteur(1) qui aura dépassé son comportement sous stress, je serai un Empathique(1) qui saura s’affirmer, je serai un Persévérant(1) qui respectera les valeurs des autres, je serai un Rêveur(1) qui se retirera pour vivre sa spiritualité dans l’intégrité, je serai un Rebelle(1) qui sait être responsable.

« Scout toujours… » est finalement un credo partagé par plusieurs d’entre vous, étudiants en école de commerce qui avez utilisé cet argument, vous aussi, pour intégrer l’école de vos rêves ; par vous, cadres et directeurs en open-space qui me lisez et retrouvez la nostalgie des marshmallows grillés au coin du feu à 11 heures du soir ; par vous, formateurs intéressés par une méthode pédagogique toute nouvelle et innovante (je me réfère à l’apprentissage par problème(4) qui fait le pédigrée des cours à Grenoble Ecole de Management). Convaincue que le scoutisme et le management font bon ménage, je vous invite, futurs intégrés et futurs diplômés à utiliser votre expérience pour vos entretiens. Vous avez maintenant tous les arguments en main pour vous valoriser au-delà des clichés sur nos cantiques et nos maudits bérets. Scouts, saluez !

Témoignage de Jeanne Chiesa, ancienne guide et cheftaine SUF, sur LinkedIn. 
Jeanne est experte en Recrutement et Marque Employeur. Nous la remercions vivement d'avoir accepté de partager son témoignage pour Le RASSO. 
 
(1)Note : il s’agit d’un profil de personnalité du modèle Process Communication Management © développé par Kahler.
(2)Note : il s’agit d’un bâton de bois sur lequel est dressé un fanion d’équipe et les flots de récompense reçus en camp d’été.
(3)Note : Camp d’Ecole Préparatoire Degré 1, diplôme obligatoire pour devenir assistant chef scout d’une compagnie ou d’une meute.
(4)Note : Game-Based Learning, méthode d’apprentissage développée au Québec depuis les années 1960



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1 Commentaire

Xavier DELAUNAY (MTE 3e NANTES)
Il y a 2 ans
Merci Jeanne de ce témoignage.

Effectivement le MBTI est un modèle fort utile pour savoir ce que c'est "qu'être soi".

il existe aussi l'ennéagramme beaucoup plus ancien et qui aborde les dimensions vocationnelles, relationnelles et spirituelles.

Pour ce qui concerne "La seule Firme Multinationale (à en juger par les effectifs) où l'accomplissement de soi est la seule et unique finalité", je me permet de préciser que le scoutisme est certes important mais que l'Eglise l'est de manière encore plus répandue ;-)

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