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La spiritualité de la route - Mais qu'est-ce qui pousse à tout plaquer et partir à pied ?!

15 février 2022 Progression personnelle

Alors qu'on peut se rendre en quelques heures d'avion ou de train d'un endroit à l'autre, à quoi bon utiliser ses pieds pour faire le chemin ? C'est que la route possède bien des vertus, notamment spirituelles. Petit tour d'horizon (à pied.)

Tout plaquer et partir deux mois sur les chemins Saint-Jacques de Compostelle à pied ? C’est ce qu’a décidé de faire Hélène Méheut, un beau jour de 2019 : « Je suis restée sidérée par un comportement professionnel auquel je ne pouvais m'associer. Ce mutisme a été suivi immédiatement d'une certitude : donner ma démission pour partir faire Saint-Jacques. » Cet appel de la route, cette trentenaire l'inscrit tout de suite dans une quête spirituelle. « Je voyais cette aventure comme un lieu de rencontre avec soi-même, avec le Christ mais surtout, avec l'autre. Ça s’est imposé à moi, comme insufflé par l'Esprit Saint. »

 

Répondre à cette aspiration n'avait pourtant rien d'anodin. Bien qu'ancienne guide de France, Hélène n'avait jamais vécu de telle expérience. "La pratique sportive ne faisait pas franchement partie de ma vie ! Dire oui à la route, partir sans parachute, c'était risquer de me découvrir dans une aventure à laquelle je n'étais pas prédestinée."

 

À en croire aussi Paul Bablot, 29 ans, quand l’appel répond à un désir profond, sa radicalité ne semble pas un obstacle. Le jeune homme achevait une année de volontariat avec les missions étrangères de Paris (MEP) au Mékong, en Thaïlande. Une année “sédentaire” qui lui donne envie de voyager plus loin. Il décide alors de rentrer chez lui, à Paris… à vélo. Une année entière, 20 000 km à pédaler à travers les plaines d’Asie centrale, l’Iran, Jérusalem où il fêtera ses 25 ans, le Vatican où il rencontrera le Pape... Bien loin, donc, des périples expérimentés en étant scout, routier puis chef chez les Europe, à Paris où  “j’avais dû rouler 50, voire 60 km, tout au plus !” Et pour donner plus de sens à ce retour, l’auteur du récit Du Mékong à la place St Pierre (1) choisit d’aller à la rencontre des communautés chrétiennes.  

 

Les raisons qui poussent à laisser le confort de son quotidien sont nombreuses. Insatiable aventurier dont on ne compte plus les expériences (Compostelle, Paris-Jérusalem à pied, Paris-Saïgon en 2CV, Afghanistan, Caucase, Mont Ararat…), Edouard Cortès assume aussi qu’un départ peut contenir un désir de fuite. “C’est un mélange d’exploration, de soif d’aventures mais, aussi, une part de nous veut quitter l’univers pesant, et l’agitation du monde.” Pour autant, fuir n’est pas mauvais en soi selon lui. ”si cela est mu par un réflexe salutaire : « celui d’aller à la racine de la vie ».  ”En partant, on fait un pas de côté. Sur la route, on se confronte au réel. Un peu comme lors des camps d’été, à vivre dans la nature pendant plusieurs semaines. On demande au voyage de nous faire retrouver l’attention au monde volée par les écrans, le bruit et la vitessse. La route, c’est la vie. Il faut oser la prendre régulièrement. Dans ces marges de l’existence, sur les chemins, on peut soigner sa citadelle intérieure tout en se réjouissant des beautés extérieures.”, raconte cet ancien chef scout.

 

Mais qu’est-ce qui se joue profondément sur le chemin ? Que vit-on de si intense ? “La patience et l’abandon, répond d’emblée Paul Bablot. La route nous invite à être prêt à vivre pleinement ce qui arrive.” à commencer par les obstacles,les aléas climatiques. Pendant son pélerinage de 8 mois vers Jérusalem avec sa femme, Edouard Cortès garde encore en mémoire les “morsures de l’hiver en Turquie” et celles du régime syrien. Les jeunes mariés avaient par ailleurs choisi de mendier leur nourriture. “On a bien entendu vécu des moments de faim et de découragement !” Mais toucher du doigt sa vulnérabilité se révèle transformatrice, insiste ce dernier : “La route, c’est bas les masques ! On est chahutés, on découvre la dépendance aux autres, on reconnaît la main de la Providence. Vagabonds couverts de poussière, nous voilà nus et vrais. La route décape. Elle nous mène à la terre, à l’humus, à l’humilité. ”

 

Autre grâce de la route, la richesse des rencontres vécues. Paul Bablot se souvient qu’elles avaient souvent lieu au moment d’installer sa tente, à la fin d’une journée de vélo. “Des personnes que je rencontrais m’offraient spontanément des pastèques, du thé... Mêmes éphémères, ces rencontres sont vraiment l’essence des voyages.” "L’expérience de la route, ajoute-t-il, c’est aussi de “s’émerveiller devant la beauté de la Création".” 

 

Par essence lent, le rythme de la marche et du vélo, favorise cette contemplation. “J'étais telle ces escargots que je côtoyais sur les chemins pluvieux printaniers, poétise Hélène Méheut. Et d’ajouter : “Mon esprit était en mouvement, je sentais que chaque jour, chaque rencontre était un don et un apprentissage qui me nourrissait”

 

Ce tempo si particulier de la route, Edouard Cortès le qualifie justement de “musique intérieure”. Cette régularité, qui peut paraître répétitive, routinière, est ce qui permet de mieux se connaître. “La cadence des pas installe un ronronnement en nous, comme une prière intérieure. A tel point qu’à certains moments, on goûte à un sentiment de plénitude. C’est la grâce de la route !

 

Sans cesse en mouvement, orienté vers demain, ce n’est pas un hasard si le chemin permet d’avancer sur des questionnements. “La route agit comme un rempart. Elle permet de retrouver l'unité. En marchant, le corps et l’esprit travaillent et le cœur se dilate, développe Edouard Cortès. La grande vertu de la route c’est d’unifier nos paradoxes. On se sent davantage en paix avec soi-même. Hélène en a fait l’expérience. “Le chemin m'a donné des réponses que je n'attendais pas. J'ai pris des décisions constructives, des orientations que je présentais mais qu'il fallait que je mature”, confie celle qui a désormais quitté la région parisienne et trouvé un nouveau travail. 

 

Après une si riche aventure, comment envisager le retour ? “On a qu’une envie c’est de repartir !, reconnaît Paul, qui aime à répéter la formule, prononcée lors du départ routier :  “Si la route te manque, fais la !”. Mais aujourd’hui marié et jeune père de famille, il prévient : “Il faut aussi se raisonner et savoir s’engager pleinement dans d’autres étapes de vie qui sont tout autant des aventures !

 

C’est aussi ce que veut croire Edouard Cortès. “La route amorce de telles transformations que notre regard sur la vie ne peut pas être le même après. Pour avoir été à la racine de son être et du monde, on revient plus enraciné.” Pour preuve, raconte ce dernier, “en famille, nous essayons de cultiver au mieux cette dimension d’accueil reçue sur la route.” Ainsi, chez eux, à table, ils ajoutent toujours une assiette supplémentaire, pour accueillir le pauvre, un invité qui pourrait toquer à la porte. “C’est une façon de rester disponible à l’inattendu. L’aventure partout, sur la route ou à notre table.”

 

par Guillemette de Préval

 

 

(1) Du Mékong à la place Saint-Pierre, Paul Bablot, éditions Première partie (2019) 

(2) Dernier ouvrage paru : Par la force des arbres, Edouard Cortès, édition Equateurs (2020)




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