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« Le scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu : il aime les plantes et les animaux. » - [Loi scoute & Vie pro] par Thibaud Brière de la Hosseraye

Il est tout sauf indifférent que la principale caractéristique de tous les scouts du monde soit de vivre dans la nature, pour un temps donné. En camp, le scout est condamné à composer avec elle, à entrer en dialogue comme on entre dans une danse, pour écouter ses mouvements, lire ses signes, anticiper ses soubresauts. 

Apprenant à en connaître les douceurs et les rigueurs, il apprend à la respecter et à l’aimer pour elle-même, avec ses incertitudes, ses revirements, ses dons. La respectant pour ce qu’elle est, il ne prétend pas la refaire à son image. Il s’adapte à elle autant qu’il se l’adapte.

Contrairement à bien des modernes qui voient dans la nature un ennemi à combattre, un obstacle à vaincre parce qu’ils ne supportent pas qu’on leur résiste, le scout au travail a dépassé cette réaction infantile. En tout cas il essaie. Il reconnaît qu’il existe des réalités naturelles avec lesquelles il est bon de composer.

Ses collègues par exemple ont une nature propre, humaine ; ils ne sont pas faits d’une pâte informe modelable à merci, au gré des souhaits évolutifs de tel ou tel penseur ou directeur. Comme l’ont appris à travers l’Histoire les zélés re-formateurs de l’humanité, quelque ingénierie sociale et pédagogique que l’on mette en place, la ressource humaine a toujours plus de ressource que les récurrents projets de « révolution anthropologique ». La nature a toujours le dernier mot : « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant » (Francis Bacon).

En management, pour le scout cherchant à appliquer l’article 6 de la loi qu’il s’est donnée, tout l’art sera de discerner les natures respectives de ses subordonnés (colérique, méfiante, enjouée, méticuleuse…) pour les marier subtilement dans un collectif. Il s’agit également d’identifier ce qu’il est plus naturel aux uns et aux autres d’accomplir comme travail, de manière à utiliser au mieux les prédispositions individuelles.

De même qu’il a appris à reconnaître et à respecter les rythmes naturels, le scout, dans sa vie professionnelle, est incité, par l’article 6 de sa loi, à respecter non seulement les plantes et les animaux, mais encore cette diversité naturelle que sont les rythmes et les aptitudes propres à chacun. Il y voit quelque chose de sacré, comme « l’œuvre de Dieu » en chacun, indéfiniment singularisante. C’est là une différence nette avec une autre approche : nous ne connaissons que trop de professionnels qui cherchent à faire entrer tout le monde dans le même moule, à faire violence aux différences de natures, de caractères et d’aspirations, en vue d’obtenir un personnel « aligné », homogène.

L’article 6 de la loi scoute, lui, invite implicitement les managers à aimer les différences entre les personnes pour saisir comment, de même que plantes et animaux se marient très bien, faire collaborer harmonieusement littéraires et scientifiques, geeks et non geeks, introvertis et extravertis, etc. C’est l’infinie profusion de la nature, la diversité naturelle telle qu’elle s’exprime aussi dans nos organisations, qu’il nous revient d’accueillir, d’aimer et d’accompagner.

C’est un fait. Par la vie de camp, le scout a développé une familiarité avec la nature. Il se sait de la même famille, se reconnaît fait de la même texture que les minéraux, les plantes et les animaux. D’expérience, il sait que la nature l’accueille, le transit et l’appelle. Plus, peut-être, que d’autres, il a une conscience vive que « la Création tout entière, du séraphin au minéral, est homogène et reliée dans toutes ses parties par le lien de la charité » (Paul Claudel). En quoi il sera attentif, dans ses décisions professionnelles, à ne pas nuire à ses sœurs les plantes, à ses frères les animaux.

Mais s’il aime la nature, il ne l’idolâtre pas.

Il ne s’en satisfait pas, il la travaille pour l’aménager. C’est bien parce que la nature telle qu’elle est ne nous suffit pas, que nous y mettons de la culture ! En effet la nature, c’est aussi la loi de la jungle, la lutte pour la survie où les gros poissons mangent les petits. Le scout ne se contente pas de chercher une grotte où se blottir, il se construit un camp, dresse des installations, instaure des règles communes, organise une société.

Il en va de même en entreprise, où les membres développent une culture d’entreprise en ne laissant pas les choses (les conflits…) se développer « naturellement », spontanément. A ce qui menace d’arriver, inévitablement, ils impriment la marque de leur volonté, l’empreinte de leur esprit.

L’entreprise est elle aussi un terrain à cultiver, « un grand champ à moissonner » pour faire donner le meilleur à ceux qui s’y trouvent. Comme le vigneron parvient à sublimer le raisin, dépasse la nature sans la contredire, le manager met en place des dispositifs pour perfectionner les talents de ceux qui lui sont confiés.

Du moins est-ce ce qui devrait se passer, si véritablement on ne s’en tenait pas à la simple nature.

Mais dans les faits, qu’observons-nous ? Laissons-nous vraiment une place à la culture, dans notre entreprise ? Cultivons-nous vraiment nos collaborateurs pour les mettre à niveau, ou préférons-nous les remplacer, comme les pièces d’une machinerie, dès lors qu’on les estime usées ou obsolètes ? Ne pas s’obliger à faire avec ce (et ceux) qu’on a pour en tirer le meilleur, c’est renoncer à la culture (d’entreprise) pour s’en tenir à la seule nature.

« Le scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu »

« Le scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu » : et nous, lointains enfants de notre promesse, qu’y voyons-nous ? Cherchons-nous seulement à voir quelque chose ou quelqu’un, au travers de ce qu’il nous est donné de vivre sur notre lieu de travail ? Quelle est notre soif ?

 

Par Thibaud Brière de la Hosseraye
Thibaud Brière de La Hosseraye est marié et père de quatre enfants. Il est philosophe en entreprise, conseiller en management, spécialisé dans les nouvelles formes d'organisation du travail et la prévention des risques professionnels. Il est l'auteur de "10 clés pour préparer mon entreprise au travail à distance" (Eyrolles, 2021) et de "Toxic management" (Robert Laffont, 2021). Titulaire d'un DEA de philosophie, diplômé d'HEC et lauréat de l'Académie des sciences morales et politiques, il a été onze ans scout à Paris, dont six de scoutisme marin.
 
 



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